Alors que SaGa Emerald Beyond s’apprête à dévoiler les portes du multivers le 25 avril prochain, il est temps de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur : pendant près de deux décennies, l’univers SaGa était en sommeil, privé de toute nouvelle entrée. Cette pause prolongée est souvent attribuée à la réception mitigée, pour ne pas dire controversée, d’Unlimited SaGa, bien que sa bande originale reste un joyau incontesté. Cet échec a temporairement éclipsé la série qui, déjà peu connue à l’international, semblait alors vouée à l’oubli. Mais comme par enchantement, SaGa Scarlet Grace voit le jour en 2016 au Japon, puis en 2019 dans nos contrées. Une résurrection bienvenue pour rappeler au monde que les jeux SaGa sont bel et bien vivants, prêts à offrir de nouvelles aventures.
Ode aux limites
L’industrie du jeu vidéo triple-A nous a enseigné une leçon importante au fil des ans : une abondance de ressources techniques, humaines et financières ne garantit pas nécessairement la création d’une œuvre impactante et mémorable. Cela soulève une question fondamentale sur la liberté et la contrainte dans le processus de création artistique : la contrainte peut-elle être bénéfique en imposant un cadre à l’artiste, qu’il peut ensuite choisir de défier ou de respecter ? Peut-être que des contraintes réelles sont en fait plus stimulantes que la liberté totale lorsqu’il s’agit de concrétiser un projet artistique original. Si les jeux avec des budgets astronomiques et des équipes de développement massives étaient vraiment plus révolutionnaires et captivants pour les joueurs, nous le saurions déjà. En réalité, les limitations techniques, humaines ou financières semblent pousser les créateurs les plus ingénieux à repousser les limites et à faire des choix plus audacieux, aboutissant à des expériences de jeu originales et tranchées. SaGa Scarlet Grace incarne parfaitement ce concept.
Malgré des ressources financières et humaines limitées, Akitoshi Kawazu, le cerveau derrière SaGa, réussit à engager deux icônes incontournables de la série : Tomomi Kobayashi pour le design des personnages et les illustrations, et Kenji Ito pour la musique. Ces trois artistes sont véritablement l’essence même des jeux SaGa, et même avec le passage à la 3D via Unity, cette essence originale demeure visuellement palpable. Dès les premiers affrontements, il est évident que ce jeu reste fidèle à l’essence même de SaGa : pas de système d’expérience ou de niveaux pour les personnages, amélioration aléatoire de certaines statistiques après chaque bataille, acquisition de nouvelles compétences de manière spontanée en plein combat, et une trame narrative fragmentée qui célèbre l’anticonformisme propre à la série. Tous les éléments caractéristiques sont toujours présents, offrant aux fans de longue date un terrain familier, à une exception près : la refonte majeure du système de combat, privilégiant une approche tactique centrée sur les actions de chaque personnage.
Avec un budget limité, l’équipe de développement mise sur la créativité plutôt que sur les ressources financières colossales. La bonne nouvelle, c’est que les idées fusent gratuitement : en mettant leurs cerveaux en ébullition, ils parviennent à créer l’un des systèmes de combat les plus captivants et complets depuis longtemps. Tout en puisant dans l’essence des jeux SaGa pour rester fidèle à l’héritage de la série, ils y ajoutent des éléments astucieux qui insufflent une agréable dose de nouveauté à la formule. Et surtout, pour la première fois dans la série, ils rendent le jeu vraiment accessible même aux novices.
La drogue imposante
Il est indéniable que SaGa Scarlet Grace ne se distingue pas par son récit, bien que celui-ci soit fonctionnel pour qui s’efforce de le suivre, mais il reste relativement disjoint (comme il se doit dans un jeu SaGa) et bref. Les échanges sont succincts, sans fioritures : il n’y a ni exploration approfondie du monde ni développement des personnages à travers les scénarios secondaires que le joueur débloque au fil de ses aventures. L’intrigue qui se déroule agit en fait comme un prétexte, une façade derrière laquelle se cache le véritable attrait du jeu : ses combats. Ces derniers reposent sur une jauge temporelle d’action, où ennemis et alliés sont placés en fonction de leur vitesse. Ainsi, les personnages les plus rapides apparaissent à gauche de la jauge, tandis que les plus lents se trouvent à droite. Cette mécanique demande une attention particulière de la part du joueur : en positionnant stratégiquement ses alliés, il peut déclencher des attaques de groupe contre les ennemis, réduisant ainsi le coût des attaques en BP (Battle Points). Ces points sont partagés entre tous les membres de l’équipe, et chaque compétence consomme plus ou moins de points en fonction de sa puissance. De plus, les compétences sont influencées par le type d’arme utilisé par le personnage : un combattant avec une hache aura tendance à privilégier les attaques puissantes qui étourdissent, tandis qu’un utilisateur d’épée adoptera un style de combat plus rapide, mais moins impactant.
Il peut sembler que le système de jeu se limite à quelques éléments, mais c’est loin d’être le cas : il y a de nombreuses couches de complexité à explorer. Pour déterminer les points de base (BP) attribués au joueur à chaque tour, le choix de la formation est crucial, car il influence directement la stratégie adoptée, que ce soit en mettant l’accent sur la vitesse, l’attaque ou l’utilisation d’altérations d’état. De plus, en plus des points de vie classiques de chaque personnage, leur disponibilité en combat est conditionnée par les LP emblématiques de la série, qui diminuent d’un point lorsque les HP tombent à zéro. Si un personnage atteint zéro LP, il devient inutilisable en combat, bien qu’il puisse récupérer des points en restant en réserve après chaque affrontement. Ainsi, chaque joueur doit jongler avec ces différentes variables pour élaborer la stratégie la plus adaptée aux forces encore disponibles avant chaque combat.
Bien que ces informations puissent sembler complexes au premier abord, elles prennent rapidement tout leur sens pour le joueur, même s’il n’est pas familier avec les jeux de rôle japonais et les subtilités de la série SaGa. L’ensemble est extrêmement complet, et les développeurs du jeu l’ont enrichi en proposant des combats exigeants qui demandent au joueur une véritable maîtrise des mécaniques de jeu et des forces en présence. Cela nous amène à notre conclusion : face aux contraintes budgétaires du titre, l’équipe de développement a opté pour un système de combat astucieux et addictif, au détriment d’un scénario plus élaboré ou d’une présentation visuelle plus spectaculaire.
En d’autres termes, un compromis a été nécessaire. La direction du jeu a donc fait le choix d’exploiter pleinement cette contrainte en approfondissant un aspect du jeu avec de multiples couches de complexité, ce qui a donné à SaGa Scarlet Grace l’un des systèmes de combat les plus remarquables de la dernière décennie. En comparant avec SaGa Emerald Beyond, on constate un choix similaire, avec une reprise des bases établies par son prédécesseur, aussi bien visuellement que dans les mécaniques de combat qui semblent similaires. Cependant, cette décision risque de diviser les opinions : en s’engageant dans cette voie audacieuse mais efficace pour ceux qui aiment les défis, la franchise SaGa pourrait avoir du mal à attirer un public plus large, restant ainsi une passion confidentielle. Alors que l’industrie tend à offrir toujours plus de contenu, parfois au détriment de sa qualité, l’audace de privilégier la qualité à la quantité mériterait certainement une reconnaissance plus marquée.
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